Le flanc radical : Une nécessité ?
Préambule
Les militants, bien au fait de la crise environnementale en cours et à venir, essaient par tous les moyens d’alerter et ce depuis au moins 50 ans, sur cette crise.
Les scientifiques eux-mêmes ont stoppé toute neutralité : On en voit de plus en plus en désobéissance civile bloquant des routes, se collant la main au sol lors d’un événement automobile…
Théorie du flanc radical et désobéissance civile : définitions
La théorie du flanc radical repose sur la manière dont les militants radicaux d’une cause influencent les militants plus modérés et permettent à l’opinion publique de mieux adhérer aux idéaux de ces derniers.
Un petit rappel également sur ce qu’est la désobéissance civile : C’est le fait de refuser d’obéir à une loi, un règlement ou un pouvoir en place. Cette désobéissance est par essence non-violente. C’est très majoritairement la répression policière et judiciaire, en réponse à cette désobéissance, qui l’est.
« C’est un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés »
John Rawls dans La Théorie de la Justice (1971)
Même si un cadre juridique est obligatoire pour pouvoir vivre en société, il est également important de rappeler que toutes les lois ne sont pas justes. Il y a une différence entre ce qui est légal, et ce qui est légitime comme l’évoque l’excellente Camille Etienne dans l’émission C ce soir :
C’est cette légitimité qui est mise en avant par les militants, en opposition au cadre légal en place. Et désinformation oblige, nous voyons défiler sur les plateaux TV de pseudo experts qui enchaînent les phrases assassines et les discours préétablis, attestant que ces actions, basées sur la légitimité, sont « contre-productives », qu’elles ne sont l’œuvre que de quelques « wokistes », etc.
Pas d’étude infirmant l’efficacité du flanc radical
C’est bel et bien de la désinformation, puisque les chercheurs ne peuvent pas attester de la nature contre-productive de ce type d’actions.
Il n’existe aucune étude à l’heure actuelle affirmant l’inefficacité d’un tel modus operandi. Au contraire, il existe plusieurs études, dont une (américano-canadienne) datant de juillet 2022 qui indique de façon explicite que l’adoption de positions radicales au sein des mouvements sociaux peut renforcer le soutien de la population envers des actions plus mesurées.
Dans cette étude, publiée sur la prestigieuse plate forme académique d’Oxford, il est mentionné que c’est notamment l’utilisation de tactiques radicales, comme la destruction de biens ou la violence (nous sortons ici de la simple « désobéissance civile »), plutôt qu’un programme radical, qui provoque cet effet. Les résultats sont liés à un effet de contraste : l’utilisation de tactiques radicales par un groupe a conduit à ce que le groupe plus modéré apparaisse moins radical, même si toutes les méthodes du groupe modéré étaient restées les mêmes.
Ces résultats suggèrent que les groupes activistes qui emploient des tactiques impopulaires (comme jeter de la soupe sur des œuvres d’art) peuvent accroître le soutien pour d’autres groupes plus modérés au sein du même mouvement, soulignant ainsi une manière cachée selon laquelle les groupes du mouvement sont complémentaires, malgré la poursuite d’approches divergentes pour le changement social.
Un changement systémique nécessaire
Et puisqu’on parle de tactiques plus ou moins populaires, en voici quelques unes :
Les jet de peintures, le dégonflage de pneus de SUV, le blocage de l’AG de TotalEnergies, création de « ZAD » ou encore le mouvement récent des « écureuils », qui grimpent dans des arbres afin d’empêcher leur abattage, comme c’est le cas le long de la très controversée autoroute A69.
Les militants ne cessent d’étonner par leur créativité pour « emmerder » les autres. Bien que sur la forme, on puisse suggérer que le but premier est de dégrader ou pire, imposer une « dictature verte » allant à l’encontre de la sacro-sainte croissance, il est à noter que sur le fond la problématique soulevée est de taille :
Comment amorcer un changement systémique – puisque c’est bien de ça dont il est question dans le militantisme – alors même que ce système tente par tous les moyens (médias et désinformation, répression judiciaire et policière, …) de s’en protéger ?
Pour répondre à cette question, il est important de se documenter sur la théorie du flanc radical. Cette théorie, mise en avant par l’avocate féministe américaine Jo Freeman en 1975 pour étiqueter des mouvements féministes « radicaux » en oppositions aux mouvements plus « respectables » est depuis présente dans de nombreuses sphères. L’une des plus connues en France est bien évidemment au sein de l’échiquier politique : L’arrivée d’Eric Zemmour et de son parti « Reconquête ! » a permis à Marine Le Pen et le Rassemblement National de se dédiaboliser au point d’être assimilé à un parti « de droite » seulement, dans l’opinion publique. Bien évidemment, il n’en est rien, puisque le Conseil d’Etat en mars 2024 a lui-même affirmé que le RN était bien d’extrême-droite. Cependant, on peut constater qu’en ayant un mouvement encore plus « radical », on tolère les mouvements plus « modérés ».
Là où ceux qui « emmerdent » les citoyens reçoivent des insultes et des moqueries, les militants plus modérés se voient mieux acceptés. D’un autre côté, on constate également que ces mouvements radicaux sont mieux perçus lorsque leurs attaques ciblent directement les coupables : Souiller une œuvre d’art recevra des insultes, alors que s’attaquer à TotalEnergies recevra des soutiens de toute part.
Le flanc radical permet donc de faire mieux admettre au sein de la société, des positions vues comme trop « extrêmes » par le passé. Cela s’appelle le déplacement de la « fenêtre d’Overton » et permet à des pratiques d’êtres vues comme plus ou moins acceptables vis-à-vis de l’opinion publique : Ce qui était mal vu il y a 100 ans ne l’est plus forcément aujourd’hui.
Pourquoi est-ce si mal perçu ?
La théorie du flanc radical est une approche qui suggère que les mouvements sociaux et politiques qui adoptent des positions extrêmes ou radicales sont souvent marginalisées ou mal perçues par la société dominante. Cette théorie peut être appliquée à divers domaines, y compris à l’écologie.
Dans ce contexte, la radicalité est souvent associée à des actions ou des revendications qui remettent en question fondamentalement les structures économiques, sociales et politiques existantes. Par exemple, certains mouvements écologistes radicaux peuvent prôner la désobéissance civile, la réduction radicale de la consommation, voire même remettre en question le capitalisme lui-même.
Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi la radicalité écologique est souvent mal perçue :
La peur de contester l’ordre établi
Le militantisme, qu’il soit écologique, féministe, anti-raciste… Remet très souvent en question les normes et institutions établies. De ce fait, en voulant modifier les fondements mêmes de la société, les militants provoquent une réaction hostile de la part de certaines classes de la société. Par exemple, les mouvements anti-racistes vont contester l’ordre établi par l’extrême-droite, historiquement raciste. Les féministes, qui souhaitent uniquement l’égalité H/F, vont remettre en cause la masculinité et plus généralement le patriarcat et ses privilèges. De ce fait, de nombreux hommes se sentent menacer (à tord) et pensent qu’ils vont perdre leurs avantages sociaux. Pour les militants écologistes, la remise en question de l’usage déraisonné de l’avion remet en question le cœur même du tourisme. La critique constante de la surconsommation de viande provoque des réactions épidermiques de la part d’une grosse tranche de la population, trop habituée à consommer carné. Certains mêmes pensent que cela mènerait à la disparition des barbecues… Alors qu’on peut faire cuire de nombreux légumes avec.
La volonté de défendre les secteurs d’activités et industries concernées
Critiquez l’avion, et vous aurez Airbus (ainsi que les touristes) sur le dos. Critiquez les voitures thermiques, et vous aurez TotalEnergies sur le dos. Critiquez la viande, et vous aurez la FNSEA et une partie de la population (dont un grand nombre d’agriculteurs/éleveurs) sur le dos. Ces secteurs auront intérêt à dénigrer les mouvements écologiques afin de protéger leurs intérêts économiques.
La méfiance généralisée envers le changement radical
Un changement radical peut paraître trop drastique ou trop risqué. En changeant radicalement, des craintes – justifiées ou non – sur des perturbations sociales et économiques peuvent apparaître.
La manipulation des médias et des cultures dominantes
La stigmatisation constante des mouvements radicaux par les médias traditionnels, en les étiquetant de « marginaux », « extrêmes », « dangereux » ou encore « terroristes », influence automatiquement l’opinion publique et renforce les perceptions négatives à leur égard.
Le manque de compréhension et de dialogue
S’intéresser à l’écologie ou au féminisme nécessite de se documenter, parfois très longuement afin de creuser un simple sujet comme l’impact de l’agriculture intensive sur l’environnement ou la culture du viol. Alors imaginer que la population d’une manière générale puisse être parfaitement éduquée et sensibilisée à tous ces sujets est utopique, du moins pour l’instant. De plus, l’écart de compréhension entre une personne « normale » et une personne « radicale » rend difficile le dialogue.
Bien évidemment, cette perception de la radicalité varie suivant les contextes culturels, politiques et sociaux : Un exemple parmi tant d’autres avec le mouvement vegan qui est bien plus accepté en Allemagne qu’en France.
Pour finir
Le militantisme a évidemment ses détracteurs. Il est a noter que ces personnes n’ont probablement jamais milité de leur vie, mais se permettent de donner leur opinion (puisque c’est de ça dont il s’agit) sur l’intérêt -ou non- de pratiques radicales.
En parallèle, les médias, les réseaux sociaux et les influenceurs jouent un rôle déterminant dans le déplacement de la fenêtre d’Overton et d’une manière générale dans la validation ou non par la population d’actes militants. Ils ont une responsabilité face à la crise sociale et environnementale, et le rachat de ces médias par de grands groupes et milliardaires ne fait que renforcer l’idée que bousculer l’ordre établi pour proposer des alternatives plus durables dérange, et c’est tant mieux.
J’invite chaque personne critiquant la radicalité et même le militantisme en général à se documenter sérieusement sur le sujet, à débrancher sa TV et à rejoindre le mouvement. Sans radicalité, nous n’avancerons pas.
Sources
Le Monde, « Le RN peut être rattaché à l’extrême droite, confirme le Conseil d’Etat », 11 mars 2024
Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Scientist_Rebellion
Simpson B., Willer R., Feinberg M., Radical flanks of social movements can increase support for moderate factions, Oxford Academic, 2022
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